L’artiste, également, invoquera une accélération du temps comme facteur ou facilitateur de l’oubli : « Mon idée de la pérennité est vraiment très limitée […]. Les goûts, les techniques, le monde changent désormais à une telle vitesse qu’on ne sait même pas si l’idée d’œuvre existera encore dans cent ans. […] Alors il faut être très humble, quand on parle de pérennité : quelques dizaines d’années, deux ou trois cents ans maximum » ¹³Arman, dans D. Abadie, « L’archéologie… », op. cit., p. 63.. La notion est convoquée par Restany dès 1960, comme argument en faveur de l’actualisation néo-réaliste : « Les moyens traditionnels d’expression picturale n’ont pas résisté à l’extraordinaire pouvoir d’usure de notre durée moderne. […] Le temps les a dépassés, ils ne rendent plus compte de la loi de l’accélération de l’Histoire qui est la Règle du Présent » ¹⁴P. Restany, tapuscrit inédit, mai 1960. Archives Galerie Schmela, Getty Research Institute. Reprod. dans J.-M. Bouhours (dir.), Arman, op. cit., p. 264..
La procédure même de la destruction d’objet, qui accélère artificiellement son délabrement, est peut-être pour Arman un moyen de lutter contre le phénomène amnésique. L’artiste est en effet conscient que la marque physique du temps peut contribuer au signalement esthétique et donc historique de l’œuvre : « Après le passage du temps et des tempêtes, nous récupérons les épaves qui flottent à la surface de notre mémoire, de même que sur les berges de notre émotion, nous ramassons les objets rejetés par la mer. Le temps détruit. Le temps altère. Nous acceptons ces destructions, ces altérations du temps, nous les intégrons en fin de compte dans notre système des valeurs esthétiques, préférant parfois ce que les objets sont aujourd’hui à ce qu’ils étaient hier. Un kouros grec du VIe siècle av. J.-C. nouvellement sculpté et peint en polychromie, n’éveillerait peut-être pas en nous autant d’émotions agréables que la même sculpture, deux mille six cents ans plus tard, une fois patinée par la terre et le soleil, ainsi que par le temps » ¹⁵Arman, « Fragment… », op. cit. Reprod. dans J.-M. Bouhours (dir.), Arman, op. cit., p. 258..
Mais face au phénomène de l’oubli, Arman adopte une conception plus rassurante de la survivance artistique avec la notion de contribution nourricière. « La chaîne de succession avec ses maillons contournés ne me fait pas peur, je suis content que cela continue, je ne souhaite point […] que tout s’arrête là où je suis arrivé, ce serait la mort ; la continuité me donne, me donnera ma réalité, mon salut » ¹⁶Arman, « Les coups de cymbales », août 1985, Le Nouvel Observateur, Paris, 23 août 1985, p. 66., écrit-il au milieu des années 1980. Le propos est précisé à la fin de la décennie suivante :« Je suis heureux quand je vois des jeunes artistes qui proposent quelque chose de nouveau – jeunes, pour moi, veut simplement dire moins vieux que moi -, des gens comme, par exemple, Ashley Bickerton, Tony Cragg que j’aime énormément, Bertrand Lavier, Richard Baquié […], ou Jeff Koons. Je suis content parce que j’ai vraiment l’impression qu’ils ont appris quelque chose de nous, de notre génération, et qu’ils l’ont transformé. Par contre, dans mes dernières œuvres, je leur ai, moi, emprunté certaines stratégies de présentation. Je n’en ai pas honte ; j’en suis ravi. […] Et ce jeu, pour moi, cette espèce de relais […] est plus important que la pérennité d’une œuvre qui devrait rester comme un phare ». Arman ajoute : « Il y a des œuvres élues ; des fois on ne sait pas exactement pourquoi. Je ne crois pas que la Vénus de Milo soit la plus belle sculpture grecque, mais elle a été élue, par consensus. De même, je ne crois pas que la Joconde soit le plus beau tableau du Quattrocento. Alors on ne sait pas exactement ce qui sera élu ; on ne peut le dire. Je préfère rêver sur cette pérennité qui est une sorte de chaîne de causalités et de successions » ¹⁷Arman, dans D. Abadie, « L’archéologie… », op. cit., p. 63..